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Sam Guilaume (1990)

Portraits d'Ingénieurs

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14/04/2015

Dimanche 13 Avril 1014, 9:30AM, aéroport de San-Diego, CA

La conférence téléphonique avec mes investisseurs s’annonce des plus prometteuses. Alors que chacun des membres du conseil d’administration rejoint la conférence, j’embarque dans l’avion qui me ramène à San-Francisco. Je serai de retour pour déjeuner en famille comme prévu. Je me suis éclipsé ce matin à l’aube. Il n’est que 9:30 et déjà la journée est bien remplie. Je viens de conclure les termes de la vente de la société et j’en informe mes actionnaires. “Gentlemen, B. and I just agreed on the terms of the acquisition of Movea. This is per our discussed and agreed upon conditions…”

Nous nous auto-congratulons mais déjà l’hôtesse me fait signe d’éteindre mon portable. Je profite de cette heure de vol pour retracer les moments les plus marquants depuis la création de la société et la décision, prise il y a un peu plus d’un an, de la vendre.

Après des séjours en Allemagne, Etats-Unis et France, le destin nous amène, ma femme et moi à nous installer à Grenoble en 2003. Nous arrivons d’un séjour de près de 10 ans aux Etats-Unis, principalement en Californie. Je travaille dans l’industrie du semi-conducteur et suite à un rachat hostile de la société pour laquelle je travaille, je décide de rejoindre une start-up spécialisée dans les matériaux. Celle-ci fait l’objet d’un rachat, amical celui-ci, moins de 18 mois après que je l’ai rejointe. Même si mes perspectives de carrière s’annoncent bien, je décide finalement de me jeter dans le grand bain. Je flirte avec les 40 ans et j’aspire à la création d’entreprise.

Hormis ce que ma carrière m’a apporté comme expérience (ingénieur de développement, puis plusieurs postes de management dans la R&D, la production et enfin les ventes et le marketing), je n’ai pas de formation particulière en gestion d’entreprise. Pour autant, la tentation est trop grande. Je mets donc à exécution un plan longuement souhaité mais parfaitement inconnu et imprécis.

Je me rapproche du CEA-Léti, que je connais un peu depuis que j’ai rejoint la dernière société qui m’employait. Après quelques discussions et réunions, je finis par rencontrer fin 2006, les deux chercheurs avec lesquels je vais sceller mes 8 prochaines années et qui participeront à un tournant majeur dans ma vie professionnelle et personnelle.

Lors de mon séjour aux US, j’ai pris conscience de l’excellence technologique et académique du CEA . Dans les domaines niches dans lesquels la société pour laquelle je travaillais évoluait, le CEA-Léti, de par ses publications, faisait régulièrement preuve d’ « outlier ». Les publications étaient des plus pertinentes, pour autant ces gens étaient parfaitement absents de la scène internationale. On ne les rencontrait que rarement dans les salons ou dans les conférences. Il n’y avait pas de représentation commerciale dans la Silicon Valley (près de 10 ans plus tard, cela n’a pas vraiment changé…). Il fallait vraiment chercher leur contact. Ma nationalité était, pour une fois, un plus…

La société que nous démarrons est donc une « spin-off » du CEA-Léti. Forts d’une licence exclusive sur un certain nombre de brevets portant sur la capture de mouvement, nous nous lançons dans l’aventure en Avril 2007. L’opportunité fait que nous nous portons rapidement acquéreurs d’une société aux US. Fin 2007, nous concluons l’acquisition de Gyration en même temps que notre tour de table de $10M environ. Nous héritons d’une quarantaine de salariés en Californie et sommes sur un rythme annuel de plus de $10M de chiffre d’affaires.

Nous déroulons les 3 années suivantes plus ou moins selon le Business Plan (plutôt moins que plus…) jusqu’à ma décision courant 2010 de réorienter la société sur le marché des téléphones mobiles. Son approbation par mon conseil d’administration ne se fait pas sans grincements de dents, mais pour autant cette réorientation me parait essentielle. La chose se fait au cours de l’année 2011 et se conclut par des premiers contrats commerciaux et une nouvelle augmentation de capital en Juillet 2012 à laquelle participe Intel Capital, un investisseur notoire dans notre domaine.

La société profite grandement de ce nouvel élan et rapidement nous étendons notre présence en Asie (ouverture d’un bureau à Seoul, Corée). Notre visibilité croît et la qualité de nos contacts au sein des grands groupes mondiaux s’en ressent. Une période extrêmement excitante se prépare, qui m’amène assez naturellement à envisager la cession de la société alors que celle-ci jouit d’un grand nombre d’atouts. Nos équipes ont une reconnaissance à travers toute l’industrie (nous sommes régulièrement invités à animer des conférences lors des grands événements industriels), notre portefeuille de brevets dépasse les 600 publications, nos solutions techniques font référence auprès de nos clients. Pour autant, nous souffrons d’un manque de « scalability ». Difficile pour nous en effet de croître dans cette industrie hautement compétitive. La vente s’impose donc.

J’entretiens depuis plus d’un an déjà une liste d’acquéreurs potentiels. Je ne suis pas surpris de constater que plus de 80% d’entre eux se situent dans un rayon de 10 kms autour de San-Jose, CA. La décision de revenir en Californie s’impose d’elle-même. Vérification faite en famille, auprès de mon conseil d’administration, puis de mon équipe dirigeante et nous voilà en famille dans l’avion en Septembre 2013.

L’exercice de la vente se révèle des plus intrigants. Je m’habitue (vraiment ?) au french bashing qui est légion dans le milieu industriel.  ”Why should I invest in a company based in France ?” Rapidement pourtant je développe mon argumentaire : l’excellence de l’éducation, une R&D franchement supportée par les instances publiques, des ressources fiables et stables, un grand pouvoir d’attraction (notre équipe de Grenoble compte 8 nationalités), un accès aisé à de la recherche publique… Je « pitch » la société auprès d’une trentaine d’acquéreurs potentiels, puis une vingtaine d’entre eux expriment leur intérêt de poursuivre les discussions. Nous entamons donc un « bid », le scénario que nous avions espéré. Finalement, seulement deux sociétés auront clairement fermé la porte à une acquisition éventuelle à cause de la nationalité de Movea. Cela reste quand même dur à entendre et à admettre. Les avantages cités prédomineront, en particulier la qualité des ressources (grande qualité de l’enseignement), la stabilité des ressources (le turn-over des équipes en Europe est immensément moindre que dans la Bay Area), le coût des ressources (les salaires sont moins élevés du fait d’un coût de la vie moindre : 30-40% moins élevé en province en France que dans la Bay Area et probablement environ 20% de moins à Paris, largement dû au coût du logement), les contributions gouvernementales (crédit d’impôts, subventions étatiques ou européennes…), l’accès à des technologies innovantes (proximité de centres de recherches comme le CEA-Léti, le CNRS, les universités…).

L’histoire ne serait pas complète si je n’ajoutais pas un peu du folklore français qui est venu pimenter la vente de la société. Deux évènements ont vraiment pollué les discussions, au point de sérieusement menacer le deal. Le premier est lié à la nature de notre investisseur français, une société de gestion de fonds FCPI. Alors que notre acquéreur demandait, en toute légitimité une garantie sur les actifs de la société, il a reçu une fin de non-recevoir, avec comme seule explication que le fonds en question n’était pas habilité à le faire. Surprise de ma part, puisque lors de l’acquisition de Gyration, nous avions nous-mêmes exigé ce type de garantie (mon investisseur en tête…). Surprise de la part de l’acquéreur et de notre intermédiaire bancaire pour lesquels il s’agissait d’une grande première… Le deuxième évènement fut l’invitation non sollicitée du cabinet de Montebourg dans les négociations, menaçant l’annulation du transfert de la licence dont nous jouissions (et qui bien entendu faisait partie de nos actifs) à notre acquéreur américain. Cocorico…

En conclusion, je paraphraserai volontiers l’ancien président US Georges W. BUSH, n’ayant pas compris l’origine du mot, brandissait à qui voulait l’entendre, qu’il n’existait pas d’équivalent en français du mot « entrepreneur ». La France reste dans l’imaginaire de beaucoup aux US un lieu où l’on passe de bonnes vacances, mais pas où l’on travaille. Réputation, quand tu nous tiens…
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